L'épidermique
– chronique
Sortir
du « neuro » ?, Samedi
14 octobre 2017
Je
viens de passer la journée au Salon des
Pédagogies Novationnelles.
36 euros l'entrée, sac en rafia équitable et bon
de réduction pour
le dernier livre de Séverine Epicene compris. Cette
dernière publie
un manuel relatant son immersion de trois semaines dans une
école
de banlieue où elle mit en place un programme
d'apprentissage
baptisé F.A.S.T (Faire – Analyser –
Socialiser – Trier), basé
sur les dernières recherches en neuropsychologie
cognitiviste. Tous
les enfants d'un CP à 12 furent donc
équipés d'électrodes
multicolores et de capteurs divers sensés
décupler leurs capacités
en lecture – écriture – calcul
– vivre mieux. Chacun d'entre
eux fut aidé par une ACS (Auxiliaire de Câblage
Scolaire)
embauchée pour l'occasion. Séverine Epicene
bénéficia de la
logistique et des subsides de l' association
« Actions
pour l'Ecole » un think tank
créé par l'Institut Monteigne,
proche de la galaxie néo-libérale et au carnet
d'adresse digne d'un
CA d'une multinationale du CAC 40.
Bref,
je plongeai avec curiosité dans un univers dont la
profession de foi
couvrait le fronton du palais des expositions :
« Booster
la cohésion sociale, Evaluer l'action publique, Unir les
énergies,
Réactiver les intelligences, Créer de la
compétitivité *».
Je dus nonobstant faire la queue pendant près de trois
heures,
accepter d'être fouillé-palpé -tant il
y avait de visiteurs- avant
de pénétrer dans le saint des saint des
neuros-pédagogues
novationnels, espèce en voie d'expansion.
Les
stands se comptaient par dizaines et rivalisaient de slogans et
d'animations en tous genres : « yoga de
l'éducation »,
« confiance neuronale et
hydrothérapie »,
« savoirs
des plantes et ne pas se planter dans les
savoirs »… La
directrice d'une chaîne d'écoles de
prêt-à-enfoncer les portes
ouvertes m'expliqua que « […] le
câblage constitue
la matrice de l'intelligence collective et sociale »
et
« qu'il faut donc agir très
tôt sur les branchements
cérébraux, a fortiori in
utero ». Un autre
bonimenteur, vendeur d'une mallette numérique
cérébralisable
m'affirma que « l'homo sapiens est
pré-câblé pour
apprendre sans efforts, pour aimer, pour vivre et partager avec les
autres et ce dans n'importe quel écosystème ».
Des
conférenciers, des experts, des gourous, des
lauréats du concours
Lépine, secondés par un-e assistant-e passe-plat,
bienveillant-e
jusqu'à la nausée,
défilèrent à la tribune des soupes
impopulaires, habillés comme des nababs à
l'opéra, armés d'un
stylo laser et prenant la pose quand clignotaient leur powerpoint
implacable, sponsorisé par Polloré,
Féolia ou Bree et disponible
sur Amazhon.
En
début d'après-midi, le salon frémit de
la venue du sinistre de
l'Education nationale himself, nourri au lait de neuroscientifiques
de toutes obédiences et adepte de la couleur
sépia. Il y eut un
mouvement de foule régulé par un service d'ordre
qui siffla très
vite la fin de la récré.
En
surcharge cognitive, lessivé par le panorama
d'expériences
pédagogiques aux limites de l'a-peu-près,
j'atterris à la buvette
des « Neurones buissonniers »
où je commandai une grande
bouteille d'eau plate...comme un encéphalogramme
d'énarque
jupitérisé.
Zirteq
*B.E.U.R.C