Tout au long de leur histoire au sein du système éducatif, les SES ont fait l’objet d’attaques répétées. Ces derniers mois, des mises en causes plus vives ( y compris par le ministre lui même dés septembre 2007 ) ont conduit à la mise en place d’ une commission présidée par Roger Guesnerie afin d’établir un audit des manuels et des programmes de SES.

Les conclusions de ce rapport ont été publiées le 03 juillet, dans la foulée le 8 juillet, l’Académie des sciences morales et politiques (ASMP), a elle aussi publié un rapport à charge sur l’enseignement des SES. Après l’Ifrap (Institut français pour la recherche sur les administrations et les politiques publiques), Positive Entreprise et l’Association jeunesse et entreprises , on peut y voir la dernière salve de l’offensive d’une frange conservatrice du patronat contre l’enseignement des SES au lycée.

Certes le rapport Guesnerie, voulant se montrer impartial dans ses conclusions :

• tire un bilan largement positif de la filière ES au regard du devenir des élèves dans l’enseignement supérieur (exit les affirmations grossièrement inexactes du Ministre).
• insiste sur « les mérites du travail des enseignants qui la font vivre », ce qui constitue la reconnaissance, plutôt agréable à lire sous la plume d’éminents universitaires, de la qualité du travail des professeurs de SES.
• refuse d’opposer la formation du citoyen et la formation disciplinaire , ça tombe bien puisque personne n’a jamais eu l’idée - sotte au demeurant – d’opposer ces deux formations (en SES comme, d’ailleurs, dans toutes les disciplines).

Tout ceci , sans doute, pour faire passer la pilule et pour nous rassurer sur les risques d’une éventuelle disparition de la filière et/ ou de la discipline dans la perspective de la prochaine réforme des lycées.
Certains se sont donc contentés de ces vœux pieux (renforcés en cela par le lobbying actif d’une frange ultra minoritaire de professeurs de SES, qui soutien sans réserve les attendus de ce rapport mais dans une optique très éloignée du contenu du dit rapport puisque cela renvoie à une ancestrale lutte d’influence au sein des organisations représentant les professeurs de SES) .

Bref cette stratégie bien ficelée semble fonctionner donnant d’ailleurs lieu à un communiqué par trop optimiste de l’ UNSEN le 09 juillet dernier.

Mais qu’en est il exactement de ce fameux rapport ?

A y regarder de plus prés il n’est pas aussi positif que certains veulent le laisser croire :

• On qualifie notre enseignement de « trop abstrait, trop déterministe, et trop compassionnel »- on veut limiter la combinaison de l’étude de la sociologie et de l’économie à certains objets uniquement :

La commission préconise de "réserver le croisement des regards [sociologique et économique] à un nombre limité de cas". "L’entreprise" est citée comme "objet pouvant se prêter à un regard croisé particulièrement fécond" : "Celle-ci peut être abordée comme un acteur microéconomique opérant des choix sous contraintes. »

une façon peut être à terme de scinder les deux enseignements ce qui sonnerait à terme la fin de notre discipline : SES et pas économie ou sociologie !

• On veut remettre à plat les programmes et les manuels ( « La qualité des manuels est qualifiée de "variable" : "certains sont globalement bons, d’autres ne le sont pas" ) dans le sens d’un recentrage sur l’économie de l’entreprise, sur la micro économie, ce que le rapport appelle contenu scientifique c’est tout simplement l’économie libérale !!! Car c’est la seule aujourd’hui qui est valorisée dans l’enseignement supérieur - ce qui au passage disqualifie notre enseignement actuel en sous entendant qu’il est idéologiquement orienté.
• Celui-ci est également mis en cause à propos de l’inculture supposé des français en matière d’économie ( ou plutôt d’une certaine économie ) . Faire porter ce genre de responsabilités à l’enseignement de SES paraît pour le moins grotesque …

La commission estime également que "les programmes mettent plus l’accent sur les problèmes de notre société et peu sur ses réussites"

La commission reproche qu’il y ait dans nos programmes « de trop longs développements sur le chômage, la précarité, mais peu sur l’élévation du niveau de vie »

• Derrière ces rapports et au centre de ce réseau se trouvent les mêmes personnes emblématiques : Michel Pébereau (Institut de l’entreprise, membre de la commission Guesnerie et de l’ASMP) et Yvon Gattaz (ancien président du CNPF, AJE, Doyen de l’ASMP et auditionné par la commission Guesnerie) réunis dans la même offensive idéologique pour mettre sous tutelle l’enseignement de Sciences Economiques et Sociales.

Celui-ci est notamment accusé de « démoraliser les jeunes français » (comme d’autres ont pu lui reprocher de coûter un point de croissance...).

• Elle est décidément curieuse cette liste d’associations qui condamnent sans nuance des programmes scolaires élaborés par d’autres experts (eux aussi universitaires de renom) ! En revanche, elle est parfaitement claire la volonté d’écarter de l’enseignement au lycée toute question économique ou sociale un tant soit peu controversée.
• Dans tous les rapports, y compris celui dirigé par le professeur Guesnerie, l’absence de spécialistes des sciences de l’éducation est patente ( et même d’enseignants du secondaire : un seul dans la commission Guesnerie !!!). Certaines critiques reposent sur des impressions partielles et partiales de personnalités très éloignées des lycéens et de l’enseignement secondaire et sur un postulat commun : l’enseignement doit avoir les mêmes finalités et utiliser les mêmes moyens au lycée et dans le supérieur.

• En clair il semble logique de penser que le rapport Guesnerie n’est en fait qu’une tentative de plus ( certes plus subtile ) de la part du ministère et plus largement du gouvernement de mettre au pas l’enseignement et les enseignants de SES pour les fondre dans le même moule de la pensée unique néo libérale.

• D’ailleurs, Xavier Darcos a saisi cette opportunité en déclarant récemment concernant l’évaluation des manuels de SES « vouloir demander l’avis de personnes autorisées comme le Codice" ou "l’Académie des sciences morales et politiques", un peu "à l’image de ce qui se fait pour les guides gastronomiques. Cela reviendrait à une évaluation privée qui aiderait au choix des meilleurs manuels. »

• Outre l’aspect scandaleux de voir des manuels d’enseignement recevoir une ou plusieurs étoiles …il est intéressant de considérer la composition de ces nobles institutions :

Je me suis permis de mettre en relief un certain nombre de noms – les plus connus – qui montrent bien dans quel esprit seront audités nos manuels .

Académie des sciences morales et politiques :

Section IV
Économie politique, statistique et finances

Michel ALBERT
Michel PÉBEREAU
Pierre BAUCHET
Bertrand COLLOMB
Jean-Claude CASANOVA
Marcel BOITEUX
Yvon GATTAZ
Maurice ALLAIS

Section II
Morale et sociologie

Mireille DELMAS-MARTY
Jean BÆCHLER
Jean CLUZEL
Gérald ANTOINE
Marianne BASTID-BRUGUIÈRE
Raymond BOUDON
Xavier DARCOS
Michel CROZIER

Conseil pour la Diffusion de la Culture économique
C O D I C E

Liste des membres

***
Président : Claude PERDRIEL, Président directeur général du groupe NOUVEL
OBSERVATEUR, Directeur général de CHALLENGES

Membres
Claude BEBEAR, Président du Conseil de surveillance d’AXA, Président de l’Institut
MONTAIGNE

Jean-Paul BETBEZE, Chef économiste, directeur des études économiques de CREDIT
AGRICOLE S.A.

Jean-Pierre BOISIVON, Délégué général de l’Institut de l’entreprise

Daniel COHEN, Economiste, professeur de sciences économistes à Normal Sup et à
l’Université de Paris 1

François DE CLOSETS, Journaliste

Richard DESCOING, Directeur de Sciences po PARIS

Jean ETIENNE, Doyen de l’Inspection générale de l’Education Nationale

Patrick FAUCONNIER, Grand reporter au NOUVEL OBSERVATEUR, spécialiste de la
formation professionnelle et de l’entreprise

Jacques JULLIARD, Journaliste, Directeur délégué du NOUVEL OBSERVATEUR

Eric LE BOUCHER, Journaliste, rédacteur en chef au MONDE

Michel Edouard LECLERC, Chef d’entreprise

Nicole NOTAT, Présidente de VIGEO, agence de notation sociale et
environnementale

Erik ORSENNA, Conseiller d’Etat, membre de l’Académie Française

Claudia SENIK, Economiste

Pour ma part j’estime que s’il y a bien un domaine dans l’enseignement sur lequel la CGT doit porter le combat c’est sur l’enseignement de l’économie et des sciences sociales.

Ne plus parler dans nos cours de ces questions et formater les jeunes générations en leur disant qu’il n’y a point de salut en dehors du libre marché, de l’entreprise et de la croissance à outrance serait une erreur stratégique .

B. Conte
Professeur de SES Lycée Maurice Janetti Saint Maximin